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Hommage à Samuel Blémûr .

Je suis triste de toute la merde qui a déferlé sur Haïti . Et j’ai été triste de cet ignoble génocide au Rwanda . Et j’ai été triste de cet aussi ignoble génocide cambodgien . Le tsunami qui s’est abattu y’ a cinq ou six ans sur le sud-est asiatique m’a attristé itou . L’effondrement du World Trade Center m’a attristé . Et l’incessant bordel guerrier qui gangrène présentement plusieurs pays d’Afrique m’attriste . Sans compter l’Afghanistan et l’Irak où les espoirs de paix semblent si dérisoires .
Et toutes ces catastrophes, qu’elles soient provoquées par des  » acts of god » ou par des « sons of a god », me rendent triste .
J’ai vu récemment « Apocalypse », série télévisée relatant la dernière grande guerre mondiale et ça m’a encore attristé . Je suis sûr que si on avait pu saisir des images du massacre des saints innocents (c’est vrai les jeunes, c’est écrit quequ’ part dans la bible) que j’aurais visionné le tout avec une profonde tristesse ( me reconnaissant en plus comme un des leurs) .

Mais ces tonnes de merde qui ont déferlé sur notre humanité ne m’incitent heureusement pas qu’ à la tristesse . Que non batinsse ! Me la pèterai pas sur le plancher en criant  » pourquoi? » . Je ne laisserai pas la tristesse me tenailler douloureusement les tripes . Que non batinsse . (Batinsse que j’aime ça écrire batinsse . Me semble qu’après tant d’années j’ai trouvé le juron à ma mesure . Batinsse d’oncle Bob ! Je trouve ça beau comme un  » Simonac de cibouère  » que proférait à hue et à dia Sartre selon un biographe très peu connu que j’ai eu le privilège de lire en édition limitée .)
Ces cataclysmes, aussi tragiques soient-ils ne me donnent qu’une seule envie : l’envie de rigoler un bon coup . Car la vie continue .

Alors, laissez moi vous raconter la première fois que j’ai rencontré un haïtien en chair et en os .
1965 . J’étais en 9ème année . Assez fraîchement arrivé dans la grande ville, je m’étonnais encore de tout ce qui pouvait m’arriver et de ce que je pouvais découvrir en une seule journée malgré le cadre restreint de l’école . Alors que mes parents se remettaient à peine du choc d’avoir eu à déménager à Montréal trois ans plus tôt, moi dès le premier jour, je me suis senti heureux comme un frisson dans le dos ( perronisme ou bérubisme(*) ici . Merci ) dans cette grande métropole . Je savourais Montréal et tous ces gens si pittoresques . Des gens qui parlaient anglais pour vrai, moi qui n’en avait entendu qu’à la télé parce que mon père nous imposait une fois la semaine le « Don Messer’s Jubilee » au canal 6 . Et rarement des gens avec la peau noire, moi qui ne connaissais auparavant que « Petit Nimus » interprété à la télé par Lionel Villeneuve maquillé en noir et celui de la page couverture de « Tintin au Congo » .
Mon prof de français, en cette 9ème année scolaire, s’appelait Samuel Blémûr . Un haïtien pure canne à sucre . Imaginez qu’avec un tel nom et la couleur inédite de sa peau, d’entrée de jeu il fît s’esclaffer tous les nonos de sa classe .
Méchants comme peuvent l’être les enfants, les allusions désobligeantes ont fusé assez vite . Je n’étais pas de ceux qui niaisaient irrespectueusement Monsieur Blémûr mais j’admets avoir ri comme un épais .
Ce Monsieur Blémûr avait de la couenne . Aux niaiseries de ses élèves qu’il savait innocentes, il répliquait par son tonitruant rire de dents aussi blanches que ses globes oculaires qu’il avait plutôt démesurés . Car Monsieur Blémûr nous enseignait toujours le français en rigolant . Il semblait toujours joyeux . J’imagine avec le temps que ses rires devaient souvent camoufler sa tristesse .
Brave Monsieur Blémûr .
L’année avançant, on s’est habitué à l’aspect particulier de notre prof de français et petit à petit, le nègre hilarant du début de l’année est devenu tout simplement Monsieur Blémûr notre bon prof de français .
Et cette année là, on a pété des scores . Moi en tout cas, j’ai « performé » . Faut dire que j’aimais déjà les cours de français depuis l’année précédente que j’avais passé avec un autre sacré rigolo mais tout blanc celui-là : Anastase Desrochers . (lui aussi je lui rends hommage même si comme Monsieur Blémûr, je le devine trépassé)

Monsieur Blémûr, grâce à vous, j’ai appris outre le plaisir d’apprendre le français (sauf la ponctuation qui me donne encore et toujours de la misère) à considérer les noirs comme mes égaux ( dans votre cas, comme un héros) . Ça fait qu’aujourd’hui, plus de quarante ans plus tard, même lorsque j’en rencontre trop souvent des désagréables dans le métro, je ne me dis pas « sale nègre » mais plutôt : »sale con » . Pour moi, la bêtise n’aura jamais de couleur grâce à vous Monsieur Blémûr .

P.S.- Outre mon vingt piasses à la Croix Rouge, c’est tout ce que je peux faire batinsse .

(*) Bérubisme : Perronisme de ma nièce par alliance qui ne cesse de recréer le genre .


19 Réponses to “Hommage à Samuel Blémûr .”


  1. 20 janvier 2010 à 18:42

    Tout simplement chapeau, oncle Bob.
    Un texte à votre mesure, démesuré comme l’absurdité du monde.
    Tout comme vous j’ai fait ma contribution et il me reste tout de même un goût amer, un arête dans le gosier, une crotte sur le coeur… ce que je donne est une goutte dans l’océan, mais si tout le monde donne, cela fera probablement plus vite un baume sur leur blessure. Merci pour ce beau texte.

  2. 2 Carole Barrette
    20 janvier 2010 à 19:09

    …j’ai pas de grands mots ou de belles phrases toutes ponctuées pour dire comment ça fait du bien de lire ton blog…!!!

    Merci, c’est tout!

    Carole

  3. 3 Nicole Cormier
    20 janvier 2010 à 19:22

    Oncle Bob,
    Vous savez être si touchant, et vous écrivez si bien.

  4. 4 onclebob
    20 janvier 2010 à 19:46

    Merci à vous trois . Ça fait plaisir . Et n’oubliez surtout pas que je n’aurais su écrire ça sans le précieux apport de Monsieur Blémûr …et de ma scrabbleuse môman itou .

  5. 5 lou
    20 janvier 2010 à 20:31

    G-É-N-I-A-L ! Tu es en grande forme !
    et je retiens le « Bérubisme » !

  6. 6 onclebob
    20 janvier 2010 à 21:10

    Lou, ça lui va bien à Genny n’est-ce pas ?

  7. 7 lou
    20 janvier 2010 à 21:16

    comme une mitaine!

  8. 8 Genny
    20 janvier 2010 à 22:08

    Encore une fois Bob tu me fends les jambes en deux.
    J’en ris encore à chaude larmes!
    Je dois filer, je cours comme une poule pas de queue ce soir au boulot.

    Genny xx

    A tout proverbe on peut trouver sa chaussure.

  9. 9 Marcelle
    20 janvier 2010 à 22:14

    Oh oncle bob ,
    Je suis contente d’etre venue vous lire ce soir avant mon départ . Quel beau texte !!! Quels beaux sentiments exprimés avec tout le talent que l’on vous connait, avec votre humour mariant étroitement la teneur de vos propos.
    Tout humain digne de ce nom s’attriste présentement de ce qui arrive à Haïti. Tous et chacun , on voudrait pouvoir aider ces gens dans toute cet horreur que l’on nous dévoile dans les médias, mais on se sait impuissants . Mais si tout le monde ouvrait son coeur et son esprit , tout comme vous, il est évident que le monde serait bien meilleur et la vie plus belle .
    Je suis fiere de vous connaitre , vous qui avez su profiter de tout ce que ce brave Monsieur Blémur a pu vous apporter de bon et de beau en vous enseignant non seulement à écrire votre français, mais aussi en vous donnant l’exemple d’un homme fort , généreux et tolérant . Merci oncle bob !!!

  10. 10 onclebob
    20 janvier 2010 à 22:41

    Bon voyage Marcelle dans un sud moins durement éprouvé .
    Vous avez décrit Monsieur Blémûr avec éloquence . Toutefois, je suis sûr que celui-ci vous aurait gentiment réprimandé en souriant de toutes ses grandes dents blanches : « Voyons élève Marcelle, faut pas oublier l’accent circonflexe sur le U de mon nom « .

  11. 11 Marcelle
    20 janvier 2010 à 22:56

    Vous êtes bien sur qu’il m’aurait réprimandée pour un simple accent circonflexe? Moi je crois qu’il m’aurait dit , au contraire,  »pas grave , élève Marcelle , si vous avez oublié l’accent sur le u de mon nom en autant que vous oubliez aussi mon accent . Et je lui aurais répondu,  »cher Monsieur Blémûr, mais non, moi je ne veux jamais oublier votre si chaleureux accent . ;-)

  12. 12 onclebob
    20 janvier 2010 à 23:02

    Trop « cute » Marcelle .

  13. 13 Marcelle
    20 janvier 2010 à 23:04

    :-) merci, je vous reviens le 15 février . Bye

  14. 14 Sylvie
    20 janvier 2010 à 23:23

    C’est ainsi que le genre humain a continué malgé les guerres, les catastrophes, la haine, la convoitise, la bêtise, à vivre, à pleurer, à baiser et à rire.

    Non, cher oncle Bob. Vous avez gagné une victoire. Celle de l’espoir. Vivre. Rire. Ne pas baisser les bras. Une victoire contre ceux qui souhaiterai justement vous tétanisez afin que nul élève la voix.

    Outre votre humilité qui semble vous indisposer, sachez seulement que le simple fait d’être sensible à cette question est en soi une autre victoire, soit celle de l’ignorance à l’Autre qui nous a donné la triste et célèbre phrase: la banalité du mal.

  15. 15 onclebob
    21 janvier 2010 à 19:53

    Vu de même Sylvie . Sauf que : Moi humble ? héhé !

  16. 16 Jojo R.
    21 janvier 2010 à 23:33

    Un mot Wowww!!! Non mais quelle plume! je t’adore! bisouxxx

  17. 17 onclebob
    22 janvier 2010 à 00:10

    Merci Jojo . xxx itou .

  18. 18 Marie
    28 janvier 2010 à 21:16

    Jamais cru que de lire des pensees « noires » pourrait etre si amusant… ;0)

  19. 19 Josée Blémur Lacroix
    16 mars 2011 à 21:51

    Bonjour Oncle Bob ,

    Je me demance qui vous êtes mais j’ai eu le plaisir de lire l’hommage que vous avez écrit à mon père. Oui , il est décédé le 20 janvier 2005 , il avait 89 ans par contre , il a fait un bon bout de chemin . En tout cas , je vous remercier de ce que vous avez écrit sa me touche beaucoup .

    Merci , bien à vous ,

    Josée Blémur qui n’a jamais bien apris a écrire son Français , malgré lui ! hahah


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